l'amour au temps de microsoft

L’amour au temps de Microsoft

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« Mesdames et Messieurs, si vous le souhaitez, vous pouvez maintenant détacher votre ceinture ».

C’est le signal. Mon voisin dégaine son ordinateur. Mais pourquoi tape-t-il comme un brute sur son clavier ? Certes, l’avion n’est pas l’endroit le plus silencieux qui soit mais si ses doigts bombardaient ses touches moins à la verticale, il y aurait plus de finesse dans le geste. Et ça ferait moins de bruit.

1h10 de vol

Celui-là doit avoir du mal à se faire entendre dans le reste de sa vie pour s’en prendre si fort à son instrument. Il devrait prier plus souvent ! Au moins, là, on n’a pas besoin de crier pour dire ce qu’on pense, ce qu’on veut, ou qui on protège au très fond de soi.

17 B martèle un tableau Excel. Comme jadis, quand les chiffres se creusaient au burin. Quel bourrin. J’en étais sûre. Microsoft est parvenu à créer une nouvelle typologie de nous. Et je connais mes affinités promises sur ce plan-là.

Je suis née wordiforme. Ce sont les mots qui me permettent de déchiffrer ou convaincre. De cajoler aussi. De ressentir, surtout.

Le monde en camembert

Les exceleurs sont pour moi une race lointaine. Cases, colonnes, formules. Je conçois que leur univers est riche de logique et démonstrations. Respect, mais avez-vous déjà essayé d’introduire des paragraphes inspirés dans des tableaux ? De la pensée sophistiquée qu’un signe égal n’entrainera pas? Impossible d’aller à la ligne, ou de justifier.

Car l’exceleur doit toujours se justifier. La machine l’interpelle si ça ne colle pas. Es-tu certain de ce que tu fais ? Est tu bien clair sur qui tu es ? Oui, je suis très claire sur le fait que tes formules me contraignent et que je n’ai pas la patience de les apprendre. Ni même envie, du tout de les comprendre. Probablement pas d’usage pour ça.

Pas besoin de découper le monde en camembert pour me faire perdre la tête. Je n’ai jamais aimé le fromage. Ça sent les pieds. Mon type d’homme, à moi, ce n’est pas l’excellent, mais celui qui pointe tout son pouvoir. Qui joue en images, bouge en mouvement, sait fondre ou enchaîner. Ça donne à voir qui il est. Il pense au rythme, sait tout de suite s’il surcharge, s’il redonde, s’il suit. Il montre de lui plusieurs dimensions et surtout, il capte mon attention. Il flèche, encadre et colore. Sa pensée dicte ses doigts pour savoir être partagée en toute présentation.

Puis, mes compatriotes du mot. Et là, la grande question. Est-on heureux avec des gens comme soi, ou plus avec de l’autrement ?  Quelle est la part de compétition entre deux semblables ? Se nuit-on en confrontant ses adjectifs ? Si je sais te corriger, vas-tu m’impressionner ? Si tu sais m’améliorer, vas-tu pouvoir m’aimer ? Admire-t-on son semblable, son opposé, son complément ou son voisin ?

Et le photoshopeur ?

Où se range-t-il dans mon écran du cœur ? C’est Picasso. Forcément inspiré. Imprévisible. Fascinant, certainement, mais je ne saurais pas, sur son travail, intervenir.

En voilà un qui m’échappe. Créatif débridé à posséder ? Car même en apprenant les maniements, ces idées-là ne me viendraient pas. La dextérité n’est rien sans l’imagination. Et celle en plans me fait défaut.

Pourtant,  il est si bon d’être dépassé et dominé. Ce sont, au temps jadis, plutôt ceux-là qui m’ont fait perdre pied, alors j’ai décidé que je n’en voudrais plus. Nada. Mais décide-t-on vraiment cela sur le coin de son clavier ?

L’homme antique chassait

Par ses proies, on distinguait son adresse et sa vigueur. Autour de moi, dans cet avion, les mâles exposent leurs appareils, sans rien montrer du leur. Ironie de la course aujourd’hui à celui qui possédera le plus petit d’entre eux. La terre marche sur la tête, même et surtout en l’air.

17B Ferme son couvercle et le clapet qui va avec. Fini la pétarade. Je souris de l’avoir tellement repeint, mon pauvre voisin. Et me navre des stéréotypes déroulés dans mes pensées. Vous avez vu, comme je suis tentée d’être celle qui sait tout, dès que je suis contrariée ? Qui fait semblant de croire qu’elle maîtrise son destin.

Et un homme pas équipé, cela me ferait quoi ? L’effet d’un type sans stéréo ? Tu crois ?

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Devenez animateur.trice d’ateliers de psychologie positive
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Un commentaire sur “L’amour au temps de Microsoft”

  • ciche dit :

    Tellement bien vu, bravo !!!

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