J’ai une dent en plein milieu du palais.

Non c’est faux. Mais j’ai l’impression d’avoir une dent qui s’est déplacée au milieu de mon palais. Depuis que l’on m’a enlevé, il y a trois mois, sa voisine en attendant qu’un os se reforme, toutes les sensations de ma bouche me sont devenues étrangères et obsédantes. Sachant que l’on s’habitue à tout, j’ai pensé que ce ne serait qu’un passage, que ma langue reconstituerai son habitat et que je ne sentirai plus de déformation. Mais pour l’instant, le désagrément reste permanent. Je dois bien y penser mille fois par jour. 

Puis l’horreur a frappé des innocents en Israël et dans la bande de Gaza.

Un terrorisme aussi cruel que celui qui s’était abattu sur les trottoirs parisiens le 13 novembre 2015, dans un contexte géopolitique insolvable. Depuis, tous les gestes de mon quotidien ont gagné en densité. Exactement comme lors du démarrage de la guerre en Ukraine. Le sort individuel des victimes et de leurs familles a comme effet de mobiliser, au fond de moi, mon stock d’humanité et d’empathie. Lorsque je regarde mon quotidien avec culpabilité, je m’efforce de la muer en gratitude pour tenter d’extraire de l’horreur, un soupçon d’énergie chaleureuse.

Mais oui, cette chance qui est la nôtre de connaître la paix.

Cette incroyable chance qui est la nôtre d’être né·e·s ou de vivre là où nous nous trouvons actuellement. Et cependant, ma dent reste au milieu de mon palais.

Le lien entre ces deux situations ?

L’humilité gratifiée. Ce n’est pas parce que d’autres éprouvent bien pire que nous qu’il nous est interdit d’être perturbés. Si nous pouvons accueillir notre propre souffrance, il nous est plus aisé d’éprouver de l’amour pour le martyr et même les bobos d’autrui. La résilience passe par le fait de prendre soin de notre âme tant que nous ne pouvons pas être directement utiles car ainsi, quand et si un jour notre tour vient de pouvoir concrètement aider ou agir, alors nous serons prêt·e·s à passer à l’action.

Si l’effroi des conflits peut nous rappeler l’inutilité de l’amour-vache que nous pratiquons culturellement ici, ceux-ci ne seront pas vains. Dans une même journée, il est possible de crouler sous l’impuissance, comme de commettre des gestes d’amitié ou de pardon envers notre entourage. Il m’est aussi possible de chérir ce foutu inconfort buccal et d’aimer le confort de pouvoir vous écrire pour sentir un lien tissé entre nous et de m’en réjouir.

En résumé, la folie du monde nous tiraille dans tous les sens, mais notre chance reste immense. 

 

 

Publié le 13 octobre 2023

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