Florence est autrice, journaliste, conférencière et formatrice, réputée notamment pour ses
livres, dont les best-sellers 3 kifs par jour et Power Patate
Je suis sardinée dans un avion de ligne. Une hôtesse arpente l’allée, attentive à notre inconfort, et se fige à ma hauteur.
« Oh, mais que ces lunettes vous vont bien ! Elles vous donnent 10 ans.
– 10 ans de quoi ?
– 10 ans de hype », me dit-elle.
A 11 000 mètres d’altitude, j’entends, pour la première fois de ma vie, que j’ai basculé dans le monde des « 10 ans de… »
Jusque-là, je m’étais arrangée pour être la plus jeune : la petite sœur, l’année d’avance à l’école, la débutante en tout, la benjamine de la bande. Comme tout est relatif, j’ai toujours trouvé plus vieux que moi pour me sentir petite. Mais si je m’étais acheté des lunettes plus tôt, j’aurais remarqué que ceux qui étaient mes bébés sont devenus des barbus.
La cinquantaine adolescente
Cette semaine-là, je déjeunais avec une consœur entrepreneuse, maline, branchée, active. Nous avons parlé projets, conceptions communes, inventions et complémentarité. J’en suis venue à lui parler d’un nouveau segment sociologique : les « quinqu’ados ». La cinquantaine adolescente. La sixième décennie de la vie pour exprimer ce qui ne l’a pas encore été : les rêves, les talents, les envies et les ras-le-bol. Elle s’est assombrie, m’avouant que notre conversation l’attristait.
« Mais pourquoi ? »
– Parce que ma mère a 50 ans. »
Estocade. A quelques mois près, je pourrais être sa mère.
« Mais quel âge as-tu ? » surgit du fond de moi. Sans vraiment savoir à laquelle de nous deux s’adresse cette question.
Une génération entière me sépare de quelqu’un que j’admire. C’est souvent le cas, mais jusqu’ici, ils habitaient plutôt l’étage au-dessus, pas en dessous. Et voici qu’un accessoire posé sur mon nez révèle ou absorbe non pas une année ou deux, comme lorsqu’on porte ses premiers talons pour se grandir, mais une décennie. Je peux ainsi brader ou accuser 10 ans d’un coup.
La révélation
Bienveillant, le commentaire de l’hôtesse est une révélation. Ça commence à se voir, cette histoire de vie parcourue. La pyramide des âges se grimpe, mais pas d’un coup. Un jour à la fois, en regardant avec appétit le chemin qui nous attend. Mais si je porte désormais des lunettes, c’est pour soutenir ma vue périphérique. Pour ne perdre aucune miette des paysages, y compris ceux déjà visités.
Expériences, rencontres, sensations et souvenirs accumulés nous font baisser la vue mais enrichissent la vie. Je resterai toujours la plus petite de quelqu’un, mais aujourd’hui je peux également être grande.
La vue est belle d’ici aussi, et je m’en rends compte au beau milieu des nuages.